Ahmed Bencherif
L’émergence du nationalisme algérien
Tome I
Synopsis
Alger est une ville côtière, pluvieuse et tempérée, de fondation antique, enserrée par un ensemble de petits ilots dont elle porte le nom en grec « ICOSIUM », baptisée de même par la conquête « ELDJAZAIER ». C’est une fondation phénicienne, puis romaine. Ces récifs l’empêchent longtemps d’avoir une baie protégée par les tempêtes et donc de jouer un rôle historique. De ce fait, elle est gérée par une municipalité et en cas de danger, elle est défendue par les princes arabes de la Mitidja.
Au début du 16° siècle, elle est bouleversée par la reconquête hispanique des Rois Catholiques, Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille qui l’occupent. Le prince arabe Ben Thami n’est pas en mesure de la défendre. Il engage les frères Barberousse à la libérer. Ces sauveteurs musulmans grecs arment quelques navires et engagent 1.200 Turcs et débarquent à Alger qu’ils libèrent du joug hispanique. Kheirdine, le frère cadet, démolit le Penon dont il récupère les blocs de pierre avec lesquels il comble l’eau existante entre les récifs et construit ainsi une jetée. Il construit une citadelle avec des centaines de bouches à feu. Ce chef énergique propose au sultan ottoman Souleiman d’être son vassal et il reçoit une importante flotte avec laquelle il croise sur mer. Les rois et les deys successifs font d’elle une redoutable régence crainte par les puissantes nations avec lesquelles elle échange des consuls. Ils libèrent Mers Elkébir, Oran, Alger, Bougie. La Régence arrache son autonomie au début du 16°siècle.
Les rois et les deys successifs réalisent l’unité territoriale du Kef à la frontière tunisienne à la Moulouya à la frontière marocaine de la mer au Nord au Sahara au Sud. Ils luttent contre les expéditions de l’Espagne chrétienne pour conquérir l’Afrique-du-Nord qu’ils battent définitivement et refoulent. Ils triomphent aussi des rois du Maroc qui mènent longtemps des guerres expansionnistes, libèrent Bougie du joug tunisien.
La Régence est une république militaire dont le dey président est élu par un conseil militaire pour trois ans. Elle s’appuie sur les puissantes et riches tribus guerrières pour assurer l’ordre, lever l’impôt et répondre à la mobilisation en temps de guerre. Son gouvernement s’occupe de l’administration des populations. Il gère le judiciaire, la marine, l’armée, l’administration, prend en charge les orphelins, déclare la paix et la guerre, ratifie les traités internationaux. Son armée est estimée à 12.000 hommes en temps de guerre et à 3.200 en temps de paix. La Régence est démembrée en trois provinces, dotée chacune d’une garnison et commandée par un bey nommé par le souverain. Elle s’appuie également sur les marabouts. Elle est l’alliée de l’Empire ottoman qu’elle soutient avec sa flotte pendant ses guerres navales.
La marine constitue la force de cette république militaire dont la puissance est reconnue par toutes les autres puissances. Ce chiffre augmente ou régresse selon les gains ou les pertes que ses guerres de course mènent d’une année à une autre. Ses chantiers navals sont basés à Alger. Ils transforment le bois produit dans les forêts de Bougie ou importé d’Europe, principalement des pays scandinaves. Jusqu’au dix-septième siècle, ses marins étaient des Maures, des Andalous, des Biskri, quelques renégats. Sa flotte compte jusqu’à quarante navires, dotés chacun de quarante canons. Comme eux seuls procurent les recettes pour le bon fonctionnement de l’Etat, ils jouissent de privilèges certains dont ils sont jaloux. Eux-mêmes d’ailleurs s’enrichissent. Ils jouent un rôle prépondérant au niveau du conseil militaire. Mais, ils font aussi des jaloux dont les janissaires. Ceux-ci sont tentés par ces opportunités de richesse s’imposent et parviennent à faire partie de la flotte, en tant que soldats. C’est l’armée qui devient prépondérante. Cette milice s’affranchit en 1620 de l’autorité du palais ottoman. Elle possède des garnisons dans les villes côtières et de l’intérieur du pays.
La course fait la gloire et la richesse d’Alger. Son port ne connait pas de repos. Les navires vont en mer, croisent et reviennent chargés de richesses ou d’esclaves qui coûtent une considérable rançon. Les Algériens ne sont pas les seuls à pratiquer ce trafic. Les autres nations le font, arment des navires et louent les services des capitaines. Cependant, la course dans ALDJAZAIR remonte avant la venue des Turcs, à la première moitié du XV° siècle à partir des ports de Honeine et d’Oran dont les marins par vengeance font des raids sur les côtes de l’Espagne qui chassent les Andalous dont beaucoup meurent noyés en mer. Cette situation dramatique amène le pacha Kheirdiene à sauver 70.000 Andalous et à les ramener dans la Régence.
Pendant trois siècles, la Régence dicte ses lois aux petites nations qui sont obligées de lui verser un tribut pour acheter la paix et mettre en sécurité leurs vaisseaux marchands. C’est le cas avec les USA jusqu’en 1808. Ses corsaires sillonnent la Méditerranée et naviguent même sur la Manche pour inquiéter les côtes anglaises. Elle traite d’égal à égal avec les grandes puissances, telles l’Angleterre et la France. Dans le dernier quart du dix-huitième, les deys sont au fait de leur puissance et mènent une politique extérieure dure. Ils ne se rendent pas compte que l’Europe change, fait des échanges commerciaux avec de lointains pays, posent les jalons de l’industrialisation, se développent, s’émancipent et veulent libéraliser le commerce international. Alors, il est impérieux pour les Etats d’Europe et des Etats-Unis d’Amérique d’affaiblir ou de neutraliser cette régence qui représente désormais une menace directe pour leur commerce. L’esclavage et la piraterie s’avèrent comme des crimes à condamner et à bannir.
Pendant une longue période, la Régence entretient de bonnes relations avec la France à quelques épisodes conflictuels prêts, dont l’Angleterre est souvent l’instigatrice à propos de concessions côtières, ou de privilèges. Une étroite amitié lie les deux Etats que ni l’un ni l’autre ne la laisse ternir. La négociation intervient promptement et règle les différends qui surgissent. Les deux parties procèdent de la meilleure souplesse possible pour préserver la paix.
A l’avènement du général Bonaparte, la situation se complique. Le 24 mai 1804, il s’empare du pouvoir. Ce grand conquérant songe dès 1802 à monter une expédition contre Alger. Cependant, des affaires de politique interne, le risque d’essuyer un désastre sur les remparts d’Alger et enfin une question de morale qui s’attache à cette amitié franco-algérienne profonde et vieille de trois siècles. Cela ne l’empêche pas de missionner en 1808 le commandant Boutin à Alger pour y étudier les conditions de débarquement. Cet officier- espion élabore un mémoire appuyé sur des données militaires et des cartes et le transmet au ministère de la Guerre. Cependant, Alger n’est pas piètrement défendu. Sa flotte comprend 20 navires, 60 chaloupes et 2 galiotes le tout pour une batterie de 376 canons, sans compter ceux des fortifications. Elle mérite sa légende d’invincibilité.
Bonaparte se détourne de son projet, au moins conjoncturellement. Les guerres qu’il mène en Europe lui sont fatales. Il perd des territoires français et Il abdique. Louis XVIII est proclamé roi de France. Le nouveau souverain charge son consul général Dubois-Thainville pour négocier la reconduction des anciens traités avec la Régence d’Alger. Ce diplomate obtient satisfaction et le roi nomme Deval consul général auprès de l’Etat algérien. La paix revient entre les deux nations, l’une et l’autre sont affaiblies.
Cependant, la Régence continue d’inquiéter de mener les raids et d’attaquer les navires des autres puissances. Elle représente un danger avéré pour le commerce international qui se tourne vers la libéralisation des échanges très fructueux. Elle ne suit pas le modèle de gouvernance maritime et la gestion du commerce international qui sont des choix incontournables. Sa flotte se trouve en guerre quasiment permanente au cours des trente premières années du dix-neuvième siècle. Le déclin de son invincibilité est alors amorcé.
-. Les Etats-Unis d’Amérique
Le dernier raid contre la flotte des USA remonte à 1793. Les corsaires algériens font une deuxième prise, qui est considérable : 11 navires et 110 marins captifs sont ramenés à Alger. Le dey demanda une rançon de 2.200.000 dollars et 2 frégates de 36 canons pour une paix de 100 ans. Le Congrès américain décline la demande et crée sa marine composée de 4 frégates de 40 à 36 canons. Des négociations sont engagées avec Alger et un traité de paix est conclu le 5 septembre 1795, au terme duquel les USA s’engagent à payer au gouvernement algérien 12.000 pièces d’or. Cependant, une autre exigence du gouvernement algérien conduit à la guerre en mai 1815. Sa division capture une frégate et un brick algériens. Puis elle parut devant Alger dont les croiseurs étaient en mer. Un traité de paix fut signé le 31 juin de la même année. Le paiement du tribut fut annulé, d’autant qu’il n’existe pas de captifs américains dans les bagnes algériens.
-. Les bombardements d’Alger le 27 aout 1816
Une expédition est lancée contre Alger en aout 1816 par les flottes anglo-hollandaises. La bataille est furieuse et violente. Elle dure plusieurs heures. Les bombardements font de grands dégâts : des immeubles effondrés, des centaines de morts, des navires détruits. Ce fut un coup dur pour la flotte algérienne et son prestige s’en trouve terni.
-. Les bombardements d’Alger en 1824
Une division anglaise, sous le commandement de l’amiral Neal, revient en février 1824. Elle est composée de 22 navires qui sont rangés en bataille. Les navires algériens sortent bravement à leur rencontre. C’est une vraie bataille navale. La ville ne subit aucun dommage. L’amiral échoue à obtenir l’abandon de l’esclavage décidé par le Congrès d’Aix-la-Chapelle du 18 novembre 1818. Sa division fait demi-tour, signe évident de la victoire des Algériens.
-. L’aggravation des relations franco-algériennes
Une vieille créance de livraison de céréales du juif algérien Bacri reste impayée par la France dont l’insolvabilité est manifeste, malgré les réclamations du dey Huceine. Elle est vieille de quelques années. Le souverain algérien convoque le consul Deval et lui signifie ses protestations. L’entrevue vire très vite à la colère et le dey donne un coup d’éventail au sieur Deval. Cet affront est à l’origine d’une crise grave. Le gouvernement français exige des excuses qui ne sont pas présentées. Le roi et le parlement durcissent leur position et prennent des sanctions. La marine française fait un blocus d’Alger qui commence le 26 juin 1827 et reste trois ans sans aucun impact sur la navigation algérienne et sur le dey lui-même. Il coûte sept millions de francs par an, outre plusieurs morts aux combats ou par les maladies. Le capitaine Collet y perdit lui-même la vie, sous l’épuisement limite. Au mois de juin 1829, la France propose de nouvelles concessions : la mise en liberté des captifs, l’envoi d’un ambassadeur à Paris, la signature d’un armistice. Le dey Houcein reste cependant campé sur ses positions. Il déclare au commandant de l’escadre qui est en audience que son Etat ne craint pas une agression française.
De l’échec du blocus germa l’idée de la guerre qui trouve un partisan farouche en la personne du député de Marseille dont la ville subit un arrêt des échanges commerciaux avec Alger pendant toute cette période de blocus. Le roi, le gouvernement et les Chambres approuvent de faire la guerre à l’Algérie. Le gouvernement Polignac, qui succède à celui de M. de Martignac mène une politique plus rigoureuse que celle suivie jusqu’alors. Si le principe des sanctions contre Alger est retenu avec force par le roi, le gouvernement, les Chambres, l’opinion publique, l’idée de la guerre se perd dans des conjectures. Le Président du Conseil instruit l’ambassadeur à Constantinople, le général de Guilleminot, à solliciter du sultan ottoman Mahmoud de faire pression sur le dey Houcine et le ramener à réparer ses torts et à présenter ses excuses. Cette démarche est motivée comme suit : La France croit que la Turquie devra intervenir aux côtés d’Alger en cas de guerre. Quant à la Turquie, elle ne croit pas au succès des Français dans leur expédition contre Alger. La France recourt à une autre option inexplicable dans sa conception que dans sa concrétisation : le Président du Conseil sollicite le pacha d’Egypte, Mehemet Ali, pour châtier Alger. Celui-ci voit une opportunité pour annexer l’Algérie, un rêve millénaire des Pharaons. Des négociations sont menées entre la France et l’Egypte. Cette dernière lève très haut le paiement de cette guerre par procuration qu’elle exige de mener sous son propre pavillon. L’ambassadeur, le général de Guilleminot, informe les puissances d’Europe. L’Angleterre s’y oppose. Finalement, le gouvernement français laisse tomber cette option. Il prend la décision de mener une expédition contre Alger le 31 janvier 1830. Le roi, le président du Conseil et les Chambres se rendent compte que l’expédition par mer comporte d’énormes difficultés. De Plus, le débarquement des troupes est quasiment impossible.
L’expédition est décidée dont le roi Charles X fait l’annonce aux Chambres le 2 mars 1830. Sont en charge des préparatifs le !ministre de la Marine, le baron d’Haussez et le ministre de la Guerre, le général en chef de Bourmont. Le mémoire du commandant Boutin est exhumé. Le commandant de l’escadre Collet, en charge du blocus, communique ses observations sur l’état des défenses d’Alger. En moins de 20 jours, une gigantesque flotte est réunie en Provence. Elle est composée 675 navires dont 104 de guerre. L’armée est composée de 37.551 hommes et 4.008 chevaux, le parc de siège étant de 82 pièces de gros calibre et 9 mortiers. Cette force est répartie en trois divisions : la première sous les ordres du Berthezène, la deuxième, sous le commandement du lieutenant-général, comte de Loverdo, la troisième, sous les ordres du lieutenant-général comte duc Des Cars.
Les préparatifs français dépassent de loin ceux du dey Houcein en efficacité, en stratégie, en logistique, en organisation et en état d’esprit des hommes. L’ordre de mobilisation donné par le souverain algérien n’est pas suivi par tous ses lieutenants. Le bey Hassan le décline et sa participation résulte du hasard : son caïd Borsali se trouve à Alger pendant l’agression française pour remettre les masses d’impôt recouvré et le tribut d’allégeance au dey. Les contingents sont appelés en retard. Des milliers d’Arabes et de Kabyles ne sont pas pourvus en nourriture et dotés d’armes et de poudre. Le général Ibrahim, ministre de la guerre, brille par son incompétence avérée et son manque de bravoure. La milice de 12000 hommes, qui n’a pas fait de manœuvres depuis trois ans, se trouve en mauvaise forme, presque en villégiature. Elle n’est pas motivée depuis l’exécution du général Yahia en 18258, accusé faussement de complot contre le dey. Le service de renseignement algérien n’est pas actif et manque cruellement d’intelligence. Il ne connait pas le site de débarquement des troupes françaises à sidi FreIdJ. L’armée algérienne en est stupéfaite, quand elle parvient à le savoir.
L’issue de la confrontation est prévisible. Elle commence le 14 juin et dure seulement vingt jours. La victoire est pour les Français. Elle est totale, sans le moindre quartier ni une modeste concession du gagnant. Le cinq juillet suivant, le dey Houcein capitule, ouvre les portes d’Alger. Le général de Bourmont prend possession de la ville. Le souverain vaincu est autorisé à rentrer en Turquie avec sa famille et en emportant sa fortune estimée à quatre millions de francs français. La milice est dissoute et des centaines de soldats rallient l’armée française, signant ainsi un comportement de mercenaires. D’autres en centaines se sont fondus parmi le peuple, d’autres partent pour la Turquie.
Sur cette guerre dramatique, le roman national algérien se profile. Les Algériens, Arabes et Kabyles, prennent leur destin en main. Les chefs de tribus et les marabouts tiennent un congrès le 23 juillet à Temenfous et décident de mener la résistance contre le conquérant français. Ils mènent une bataille farouche dans la plaine de la Mitidja. Cette résistance certes héroïque n’est pas organisée et s’essouffle rapidement. L’occupation des troupes françaises s’étend ensuite à Bône et à Guelma, puis à Oran, le 31 janvier 1831. Le bey Hassan ne résiste pas. Il proclame sa vassalité et se met sous la protection de l’armée conquérante. Une grande partie de la population déserte la ville.
Puis, c’est l’espoir ! C’est le renouveau. Les chefs de tribu et les cheikhs confrériques décident de désigner un chef énergique, écouté et obéi, à la tête de la résistance qui s’annonce rude et longue. Ils proposent à Mahiedine d’être leur « sultan ». Il refuse en raison de son âge avancé. Son fils Abdelkader est tout indiqué. Le 21 novembre 1832, il est investi de cette fonction. Les trois puissantes et richissimes tribus lui font allégeance. Il insiste sur le caractère national de la résistance composée d’Arabes et de Kabyles, par opposition aux Turcs dont il montre le caractère inique dans leur occupation de trois siècles. Bientôt, il s’impose comme chef incontournable et triomphe de ses compétiteurs qui commandent la province d’Oran dont la capitale historique Tlemcen aux mains du neveu du roi du Maroc, sur demande des notables de la ville.
Abdelkader crée une armée régulière de 1.200 cavaliers. Il fait le siège d’Oran dont il réduit la division française à la famine, interdit aux tribus de commercer avec elle, soumet d’autres à son commandement. Trois généraux se succèdent entre 1832-1832 et ne parviennent pas à sortir des murs de la ville. Le général Desmichels est nommé à son tour. Il tente une sortie et razzie une tribu pour approvisionner ses 12.000 soldats en blé, viande et autres articles. Par la mer aucun produit n’arrive pas avant trois mois. Par la terre, le danger comble les routes escarpées. Le général reste prisonnier dans sa garnison. Sa situation est désespérée. Il conclut un traité de paix, dit le « traité Desmichels » avec Abdelkader, qui s’est doté du titre d’émir. Il envoie le document à son gouvernement et loue ses hauts faits de guerre dans la province qu’il qualifie de « la plus belliqueuse ».
Une grande victoire de l’émir. Son autorité est reconnue par l’Etat français dans toute la province. En revanche, il ne reconnait pas la souveraineté de la France. Il peut étendre son royaume sur tout le pays. Il étendit son royaume à Meliana et Médéa dont il nomma les Khalifa (lieutenants). Le gouverneur général, le général Drouet d’Erlon, lui fit de vives protestations. L’émir lui envoya une copie du traité Desmichels en arabe signé par lui-même et il lui rappelle qu’il est dans son droit. Le gouverneur en prend connaissance pour la première fois. C’est le document authentique que le général Desmichels ne crut pas bon de l’expédier à ses supérieurs. Celui-ci fut démis de ses fonctions et remplacé en février 1835 par le général Trézel, avec mission secrète de violer le traité et amener l’émir à accepter les modifications qu’il espère. Le nouveau commandant de la division s’y conforme. Il razzie la tribu Hachem dans les environs d’Oran. C’est la guerre qui est déclenchée.
La bataille de la Tafna a lieu le 26 juin 1835. Le général Trézel sort avec 5.000 fantassins, un régiment de chasseurs d’Afrique (cavalerie), des ambulances, tandis que l’émir déploie 2.000 cavaliers et 800 fantassins. C’est un désastre militaire français qui fait une terrible onde de choc en France. Le gouvernement, les Chambres et l’opinion publique réclament la vengeance. Cette défaite est vengée par l’expédition de Mascara exécutée par une colonne de 12.000 hommes sous le commandement du nouveau gouverneur général, le maréchal Clauzel. Cependant, ce haut fait d’armes de l’émir conduit à la signature du traité de la Tafna, signé le 30 mai 1837, qui lui reconnait la souveraineté sur les deux tiers du territoire algérien, sauf quelques villes côtières. Cette convention exclut les Ottomans des pourparlers et ne les mentionne pas. Elle fut négociée entre le général Bugeaud, venu conclure un traité de paix. Cette officier libéra la colonne de plus de 3.000 soldats du général d’Arlanges à l’embouchure de la Tafna, approvisionna la garnison de Tlemcen, triompha de l’émir à la bataille de la Sikkak. La deuxième expédition de Constantine est heureuse pour les Français qui battent hadj Ahmed bey qui en est chassé. Celui-ci reconstitue une force et s’empare de Biskra qui est aux mains de Farah, un vassal de la France. L’émir vient le chasser et installe un de ses lieutenants. Donc, l’autorité turque n’existe plus et la résistance est authentiquement algérienne. L’émir réussit la création de l’Etat algérien moderne.
Les difficultés d’interprétation du traité surgissent essentiellement dues : à la représentation consulaire de l’émir auprès du gouvernement général et au manque de précision d’un territoire enclavé entre les villes d’Alger et de Constantine, lequel est une possession de l’émir. Le duc d’Orléans traverse cette portion en faisant une excursion de Constantine à Alger. Il viole ainsi le traité. C’est la guerre 1839-1847. Le général Bugeaud revient. Il est nommé gouverneur général. C’est la guerre de conquête qui commence vraiment à un moment où les tribus sont éprouvées par le poids de la résistance. Il ramène avec lui des régiments entiers en renfort. Le total des troupes est alors de 106.000 soldats en 1842. Il fait brûler les moissons pour soumettre les tribus, fait couper les oliviers. La guerre qu’il mène est inhumaine. Il s’empare de la smala de l’émir, cette ville manufacturière immense et capitale de l’empire d’Abdelkader. L’émir parvient à triompher de Bugeaud dans deux batailles dont celle de sidi Brahim en 1845. Ses zones de repli lui sont fermées, le Désert ou les Hauts-plateaux et le Maroc. Il est déclaré hors-la-loi et combattu au Maroc et en Algérie par les armées respectives.
Les forces de l’émir sont épuisées, l’impôt ne rentre plus, les tribus, elles aussi affaiblies et appauvries, le délaissent l’une après l’autre. Sa petite armée subit les assauts de l’ennemi, les places fortes sont occupées, les villes de l’intérieur sont soumises. Le trafic des armes est arrêté. Il se réfugie au Maroc avec sa petite Deira ( petit douar). Mais il est traqué par le roi du Maroc et le pousse à entrer en Algérie où la colonne du général La Moricière l’attend sur le pied de guerre. Il dispose de trois options. Il choisit de négocier sa reddition le 23 décembre 1847. Après deux années de répit, le peuple se soulève de nouveau dans un cycle d’insurrections.
La fin de la lutte de l’émir Abdelkader ne signifie pas la soumission du peuple algérien. Les espoirs des généraux français pour voir la tranquillité régner dans le pays sont vains. La résistance armée reprend deux ans après pour finir en 1901 avec la même hargne, la même volonté pour rétablir la liberté de la patrie, évidemment sous l’obédience de l’islam, comme référent identitaire. La guerre sainte englobe également la défense du sol, soit de la patrie. La société est globalement tribale sociologiquement. Ce caractère persiste toujours après la lutte d’Abdelkader, la tribu détient tous les attributs du pouvoir de l’autonomie. Ce handicap limite l’impact des insurrections et leur donne une dimension locale malgré les ambitions nationales de leurs chefs. Il convient d’ajouter que ce caractère est dominant avec l’occupation des Turcs dont la société elle-même est fortement tribale, sauf que dans l’empire ottoman la tribu est obéissante au souverain.
Ces insurrections s’essoufflent rapidement, soit que l’argent ne rentre pas, soit que des tribus font défection. Elles demeurent circonscrites dans la dimension locale. L’achat des armes reste un souci permanent qu’elles ne parviennent pas à solutionner.
-. Bou Baghla, ce chérif de l’Ouest, entraine en 1849 la Kabylie dans une lutte de presque cinq années. Son insurrection s’illustre par l’élément féminin qui s’impose dans une guerre essentiellement masculine. Lalla Fatma Nsoumer, fille de famille maraboutique, facilite la mobilisation quasi générale de la population de cette région chère à l’Algérie.
-. Les Ouled Sidi Cheikh ne sont pas loin d’embrasser toute l’Algérie en 1864, à propos du sénatus-consulte qui privatise la propriété tribale Arch.
-. El Mokrani, richissime bachagha, refuse de collaborer avec le gouvernement civil en 1870, nouvellement instauré par la loi qui a définitivement dissout le régime militaire. Il patronne la guerre de 1871 qui elle aussi reste active principalement en Kabylie orientale et des poches au centre du pays.
-. L’insurrection de Bou Amama embrase en 1881-1883 l’immense territoire des Hauts-Plateaux, puis sa portée géographique se réduit.
-. L’insurrection de Margueritte en 1901 voit pour la première fois des Algériens, de surcroit des insurgés, jugés en Métropole avec toutes les garanties de défense de la loi.
Les Algériens devaient explorer d’autres moyens de lutte pour accéder à l’indépendance, autre que la violence. Dans les mois consécutifs du 14 juin 1830, l’émigration religieuse commence d’abord isolée à quelques grandes familles riches et des cités réputées capitales de l’islam. Elle s’étend à partir de 1907 de façon phénoménale au Sud-ouest, à Tlemcen, Mascara, la Kabylie. Elle est massive à partir de 1911. Les pays de destination sont la Syrie, l’Anatolie, la Palestine, l’Egypte, la péninsule arabique. Pour cette même année, 800 habitants de Tlemcen partent pour l’exil. Le phénomène est terrible pour cette ancienne capitale médiévale du Maghreb central : 1.200 familles se réfugient au Proche-Orient. Cette émigration atteint un chiffre ahurissant de 70.000 émigrés. La raison réside dans le fait que ces habitants ne peuvent pas vivre sous obédience chrétienne, qualifiée d’impie.
Ce mouvement, qui est soutenu par l’émigration sociale des travailleurs algériens commence en France. Sur la période 1900-1910, ils sont 10.000 travailleurs émigrés algériens. Ce chiffre est augmenté de 3.000 en 1912. Le phénomène s’accentue à la fin des lendemains de la Première Guerre mondiale. Ces travailleurs, quêteurs d’emploi, sont en contact avec al CGT et le parti communiste. Les anarchistes français les éduquent sur les luttes sociales. Le congrès communiste en 1924 à Lyon s’intéresse à cette masse laborieuse. Il invite les travailleurs algériens à adhérer au Parti et au syndicat. Il adopte des résolutions audacieuses, dont la suppression du code des indigènes et le suffrage universel pour tous les indigènes. Les Algériens sont à la bonne école. Ils assimilent vite et l’Etoile nord-africaine voit le jour en 1926, constituée par les Algériens, les Marocains et les Tunisiens. Ces derniers se retirent en 1929 et Messali Hadj prend les destinées de cette association. Ce parti compte déjà 3.500 militants.
Messali Hadj déploie une grande énergie pour faire de ce parti un mouvement indépendantiste. Avec les membres de la direction, il élabore la charte politique, rappelle la longue histoire de la nation algérienne à tous ces négateurs. La police met les militants sous la surveillance étroite. L’Etoile-nord-africaine reste active cependant dans l’Hexagone. Cependant, elle crée 43 sections en Algérie, dont l’une, à Tlemcen et c’est la levée des boucliers. Les colons la fustigent, puis ils la combattent. La police exerce sur ses cadres une étroite surveillance. Puis, elle est dissoute le 27 janvier 1927 par les autorités françaises. La lutte continua pourtant sous d’autres formes avec un programme franchement nationaliste pour la construction d’un Etat souverain, sous la forme d’une république pour tous, sans discrimination ethnique ou religieuse. L’exclusion des Français qui veulent rester en Algérie est bannie.
Puis, vient la création du parti du peuple algérien le 11 mars 1937 dont les statuts sont déposés à la Préfecture de Nantes le même jour. La direction est composée. Messali Hadj en est le président. Messal Hadj rentre en Algérie où la bataille politique est dominée par les élus musulmans, le Congrès musulman et le parti communiste dont les revendications ne sont pas indépendantistes. Il structure rapidement le nouveau parti, crée 80 sections dont 14 à Alger, 6 à Tlemcen, 4 à Constantine. Cependant, l’arrestation de militants du PPA l’amena à adopter des formes clandestines d’organisation.
La direction du PPA se heurte en Algérie à un discours politique qui va à contre-courant du nationalisme algérien : la naturalisation domine l’actualité, le maraboutisme véhicule des idées superstitions, des adulations pour les saints.C’est le temps du réveil du Panislamisme et Cheikh Ben Badis s’en abreuve. Il mène une campagne contre le charlatanisme, diffuse la langue arabe, crée l’association des Oulémas et ses structures organisationnelles. Ferhat Abbès crée lui aussi son manifeste. Des déclarations assimilationnistes fusent çà et là pour dire que « s’il y a un nationalisme, il ne peut être que français ». Ferhat Abbès ne sort pas de cette politique coloniale savamment conçue et entretenue.
Le PPA demeure actif et vigilant. Il crée des sections dans l’Algérie profonde, principalement à Ain-sefra, ancienne capitale des Territoires du Sud. Sa base militante est populaire, composée d’agriculteurs, de petits commerçants, de dockers, d’ouvriers, de cheminots, d’employés de bureau. Sa base militante s’élargit sans cesse. Elle atteint en juillet 1938 1.426 adhérents en Métropole et 1057 dans la colonie. Le PPA réussit à porter le combat politique en Algérie. Il domine l’actualité. Mais, il est dérange trop l’administration coloniale. Sa direction pressent qu’à l’approche de la guerre, sa dissolution interviendra. Certains membres prennent contact avec des Allemands pour se procurer des armes. La guerre éclate et le PPA en subit durement l’effet du gouvernement de Vichy.
La Deuxième Guerre mondiale éclate. Les empires coloniaux en subissent les contrecoups. Les Allemands triomphent et annexent des territoires. C’est le temps de la mobilisation des Français musulmans pour la guerre. C’est le temps de la fraternité hypocrite pour sauver la patrie. La propagande officielle est à pied d’œuvre inlassablement. L’appel est entendu favorablement et promptement. 134.000 Français musulmans sont recrutés. Ces chiffres se rapportent au mois de novembre 1944. Un chiffre incroyable qui s’explique par l’engouement de la guerre. Une rumeur officielle circule et dit que la contrepartie du sang des musulmans est leur indépendance. En tous les cas, ils sont sur tous les fronts avec leur bravoure légendaire même après la capitulation de la France. Des milliers y sont morts, blessés ou handicapés à vie. Les témoignages oraux nous rapportent que c’est l’enfer.
Les Allemands occupent la France qui capitule. Le maréchal Pétain, autoproclamé chef de l’Etat collabore avec les nazis. Ils exigent que les élites musulmanes collaborent aussi. Le PPA refuse catégoriquement. Ses cadres, dont Messali Hadj, sont internés dans des prisons et des centres de séjours surveillés, dont Djenien Bourezg (Ain-sefra). Les résidents de ce dernier centre sont tous des militants du PPA et du parti communiste, tous les deux opposants au nazisme. Ils sont des centaines à cohabiter pendant trois ans et activent et à libération en 1943, ils sillonnent l’Algérie et créent des sections. Des militants font l’instruction militaire en Allemagne et suivent des cours de la guérilla. Ils sont déjugés par Messali qui rappelle que le parti interdit la collaboration avec le nazisme.
Le 8 mai, c’est la fête de la victoire sur les Nazis. Elle est fêtée partout dans le monde et particulièrement en Algérie. De grandes manifestations pacifiques, initiées par le PPA, se déroulent dans les grandes villes. Tout n’est que liesse à Alger, Oran, Sétif, Constantine, Sétif. Des banderoles brandies réclament à la France la concrétisation de sa promesse, soit l’indépendance. Pour toute réponse et sans attendre, les manifestants sont mitraillés, bombardés par des mortiers, par des avions et par des frégates en rade au large du port de Bougie. Le sang coule. Il appelle la vengeance. L’insurrection éclate à Guelma, s’étend dans la région. Le bilan est catastrophique. Les chiffres officiels ne dépassent pas les 3.500 morts. Ils se contredisent en outre entre ceux de l’Armée et ceux du Gouvernement général. Le PPA rapporte 45.000. Les historiens français sont eux aussi divisés entre 10.000, 45.000, 100.000 morts.
La réponse du PPA ne tarde pas. Il crée l’organisation spéciale l’OS, le bras armé du parti. L’expérience du CARNA comité révolutionnaire nord-africain ouvre la voie à la violence. L’organisation compte près de 4.000 membres qui suivent des stages dans les montagnes. Elle achète des armes via la Lybie, la Tunisie. L’OS est découverte. Elle est dissoute en 1949. Les principaux militants sont mis en prison. Messali Hadj, quant à lui, est en résidence surveillée à Niort. Puis le 14 juillet 1953, des manifestants algériens défilent avec le parti communiste Place de la Nation Paris. Ils brandissent des banderoles réclamant la libération de Messali Hadj. Des heurts se produisent avec les forces de l’ordre qui tentent d’arracher ces banderoles. La police tue. Le bilan est de 6 morts dont 5 Algériens et 1 Français.
Le mois de mai 1945 est la matrice du 1er Novembre 1954, déclenchement de la guerre de libération, du combat libérateur. Il fera la synthèse de l’action violente, politique, puis enfin de l’action politique et violente. Ce sera le deuxième tome qui sera fort édifiant avec ses lots de drames.
Ahmed Bencherif