La problématique du lieu de naissance De cheikh Bouamama  

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Ahmed Bencherif

Ecrivain chercheur         

Email : haida.bencherif@yahoo.fr             

TEL 0659451368

                                                      Colloque national

                                                   Du 11-12 décembre 2021

                                                       Cheikh Bouamama

                                          La problématique du lieu de naissance  
                                                    De cheikh Bouamama  

 

                 Cheikh Bouamama, de son nom complet Mohammed Ibn Larbi Ibn Cheikh Ibn Mohammed Ibn Brahim Ibn Attaj Ibn Sidi Cheikh Abdelkader, né en 1833 ou 1840 à Figuig au Maroc. Est-ce pour autant vrai de le détacher de ses origines purement algériennes qui remontent au 14ème siècle et de prétendre toute autre chose qui relève de la tyrannie de l’histoire et de l’indigence culturelle des princes ?  La même problématique se pose avec son décès le 7 octobre 1908 à  Ayoun sidi Mellouk, dans la région d’Oujda. Elle découle en particulier des accidents de l’histoire comme il s’en produit dans d’autres nations.   

                Ce résistant irréductible avait mené le plus long combat de la résistance algérienne estimé par les historiens à vingt-cinq ans. Il descend de la grande tribu maraboutique de sidi Cheikh  du Sud ouest de l’Algérie. Leur ancêtre sidi Maamar Bellalia[1] était un homme politique qui s’était distingué en Egypte et en Tunisie pour ses idées réformatrices qui déplaisaient aux souverains. Cette tribu était riche et puissante. Elle était de plus maraboutique très influente ; ses ramifications s’étendaient au nord et au sud du pays, au Mali, au Niger, au Maroc.

              Si nous savons que Bouamama était né à Figuig, nous ne savons pas par contre avec précision quand était-il venu s’installer à Moghrar Tahtani ? Il commençait à se distinguer dans cette dernière localité déjà en 1878. C’est à partir de cette date que l’idée de la résistance contre l’envahisseur que s’incarna en lui. Des données orales nous disent qu’il donna une nouvelle impulsion à la zaouïa de Moghrar Tahtani en 1875. Cependant, la zaouïa existait déjà. Car elle avait été créée par le saint sidi Cheikh en son temps qui l’avait transférée à AlBiodh sidi Cheikh pour des raisons hagiographiques. En effet, le fondateur de la zaouïa d’El Biodh était attribué à sidi Boutkhil au 16ème siècle, un saint descendant du prophète dont les fils émigrèrent à Ain-Sefra après sa mort. Des sources monographiques avancent cette thèse.       

             Le combattant Bouamama avait suivi la voie du Djihad tracée par ses aïeux et tous ces héros de la résistance algérienne en commençant par l’émir Abdelkader. Il commença la lutte en 1881. Le Maroc avait servi de base de repli aux troupes de l’émir Abdelkader et quand ce territoire leur était interdit, elles se repliaient dans le Mont des ksour.[2] Cette stratégie guerrière de l’émir Abdelkader et cette solidarité du royaume chérifien avaient amené le gouvernement français à conclure des traités avec le Roi du Maroc.

             La bataille d’Isly 11 aout 1844

           Pour aboutir à cet objectif, l’armée française avait mené une expédition contre le royaume. C’était la bataille d’Isly. Elle opposa les forces marocaines estimées à 30.000 hommes et aux forces françaises évaluées à 11.500 soldats le 11 aout 1844[3]. La victoire était aux Français. Le bilan en pertes humaines ne dépassait pas 800 morts et 1500 blessés du côté marocain et 32 tués et 72 blessés du côté français. La bataille n’était pas violente, selon le maréchal Bugeaud qui estimait que les pertes marocaines étaient beaucoup plus importantes. Charles-André Julien nous livre son constat sur cette bataille :

            « La cavalerie marocaine ressemblait plus à une cohue inexpérimentée qu’à une armée aguerrie et que la tactique adoptée par le  maréchal avait réussi  pleinement ».

           Toujours est-il qu’une paix avait été conclue entre les deux belligérants. Dès cet instant, le sultanat marocain ne put imposer ni sa vision ni exercer pleinement sa  souveraineté sur son royaume.

              La convention du 10 septembre 1844 à Tanger.

              L’article 4 du dit traité qualifia l’émir Abdelkader de hors la loi et le plaça en situation de poursuite armée en Algérie et au Maroc.  Il stipule :    

          « Article 4 : Hadj Abdelkader est mis hors la loi dans toute l’étendue du Maroc et en Algérie. Il sera en conséquence poursuivi à main armée par les Français en Algérie et par les Marocains au Maroc ».

               Désormais, l’émir Abdelkader était traqué aussi bien en Algérie qu’au Maroc. Il était pourchassé de part et d’autre. En effet, l’étau se resserrait autour de lui-même et de ses troupes. Cependant, la question des frontières entre le Maroc et l’Algérie n’avait pas été discutée. Elle reconnaissait que les frontières entre le Maroc et l’Algérie restaient fixées et reconnues conformément à l’état des choses à l’époque de la « domination turque ». L’article 5 de la dite convention stipule :    

      « Article 5 : la délimitation des frontières entre les possessions de S.M l’Empereur des Français et S.M l’Empereur des Marocains reste fixée et reconnue  conformément à l’état des choses reconnu par le Maroc à l’époque de la domination des Turcs en Algérie ».      

      Les dispositions de cet article démontrent à l’évidence que la frontière algéro-marocaine était perméable. En effet, les liens sociologiques régissaient les populations frontalières, au plan commercial, culturel et même au niveau des liens de mariage.  D’autre part, l’Empire islamique (le Khalifa) délimitait ses frontières seulement avec le monde non musulman. Ajoutons que l’Etat nation est un phénomène du 19ème siècle. La  France avait emporté aussi les archives de la Régence d’Alger qu’elle sauvegarde à Marseille. Elle y accorde un grand intérêt pour des raisons stratégiques. Cette question des frontières internationales allait naturellement aboutir à d’autres discussions entre les deux parties.

        Le traité de Lalla Maghhnia du 18 mars 1845.

           Cette convention allait établir le tracé des frontières et répartir les tribus et les ksour concernés par cette perméabilité frontalière. Elle avait été discutée par une commission mixte franco-marocaine. Le général de La Rue représentait le gouvernement  français d’une part et de l’autre le caïd d’Oujda si Hmida et le représentant du sultan Ahmed El KHADIR Selaoui. Le général de division Ange Auguste de Martimprey avait dessiné un an plus tôt une carte fixant les limites du Tell, selon le tracé frontalier de la Régence d’Alger. La commission mixte répartit entre la France et le Maroc les tribus et les ksour entre Teniet Sassi, à 70 km au Sud est d’Oujda et considéra le Sahara comme un no man’s land. Il s’agissait des puissantes tribus confédérées des Ouled sidi Cheikh et des Hamyan. Il en résultait que les Gheraba dépendaient de Fez et les Cheraga relevaient d’Alger. Ce n’était pas un simple tracé géographique frontalier qui entrait en application, mais une atteinte flagrante aux droits fondamentaux de ces tribus morcelées.  Les autorités colonisatrices avaient procédé délibérément à la dislocation de leurs liens traditionnels au double plan économique et social. Pourtant, ces deux grandes confédérations avaient toujours dépendu de la Régence d’Alger.[4]  Dans l’immédiat, le traité consacrait l’isolement de l’émir Abdelkader.   

              Le général Ange Auguste de Martimprey[5] regrettait lui-même  qu’il avait fait la grave erreur de détacher de l’Algérie les Ouled sidi Cheikh Gheraba, en se basant sur des informations erronées selon lesquelles les Gheraba voulaient dépendre du Maroc. En clair, il reconnaissait avoir coupé un seul et même corps entre deux entités sociologiques. Il nous faut préciser que des familles des Ouled sidi Cheikh Gheraba  vivaient à Figuig et une grande fraction vivait à Qalaat Bouamama (Moghrar Tahtania). La grande confédération des Hamyan n’échappait pas à ce démembrement arbitraire.

            Le tracé de ces nouvelles frontières échappait à toute logique. Le biographe de Lyautey donne un verdict contemporain glaçant :

         « La géographie et le bon sens montraient que jusqu’à la Moulouya, le pays était un pays algérien »[6].  

           Une autre remarque s’impose. Elle réside dans le fait de la volonté du gouvernement français de laisser le Sahara sans limites frontalières. Cette issue était profitable à la France dans sa politique de pénétration. Néanmoins, le sultan du Maroc avait accepté cette condition sans formuler une quelconque opposition. En clair le sultanat marocain reconnaissait de facto qu’il n’exerçait aucune souveraineté sur la partie Nord ouest du Sahara.   Le royaume ne devait en aucun cas revendiquer aucune parcelle de territoire dans les années à venir, pour la simple raison qu’au moment des discussions frontalières il n’avait opposé aucune réserve. l        

                Le traité de Lalla Maghnia du 18 mars 1845 stipule :

             Cette convention répartit les tribus et les ksour selon les articles suivants : 

             L’article 4 stipule :

      « Dans le Sahara il n’y a pas de limites territoriales :

         Ceux des Arabes qui dépendent du Maroc sont les tribus Mebeia, les Beni Guil, les Hamian Djenba, les Eumour Sahara et les Ouled sidi Cheikh Gheraba ;

         Ceux des Arabes qui dépendent de l’Algérie sont : les Ouled sidi Cheikh Cheraga, les Hamian, excepté les Hamian-Djenba ».

          L’article 5 dispose :

            « Les Kessours qui appartiennent au Maroc sont Ich et Figfuig.

               Les Kessours qui appartiennent à l Algérie sont AinSafra, Assela, Sfissifa , Tiout, Al Abiad Boussemghoun ». 

     

           Cependant, cet article ne mentionne pas les ksour de Moghra Foukani et  principalement Moghrar Tahtani territoire par excellence des Ouled sidi Cheikh Gheraba. Ce vide résulte d’une méconnaissance géographique et anthropologique de la  région par les autorités françaises. En effet, la première exploration scientifique  de la région remonte au mois de avril et mai 1847 par le général Cavaignac qui avait mené une expédition militaire de 12.000 hommes pour soumettre le Mont des ksour, zone montagneuse qui servait également comme zone de repli aux combattants de l’émir Abdelkader[7].  C’est au cours de cette expédition guerrière que les localités de Moghrar Tahtani et Moghrar Foukani étaient citées. Signalons également que le général Cavaignac avait donné l’ordre de bombarder le ksar de Moghrar Tahtani qui fut littéralement détruit, pour venger sept soldats spahis tués pour avoir violé l’enceinte sacrée de la mosquée. Signalons qu’une grande bataille avait opposé les troupes françaises dans la plaine d’Ainsefra le 6 mai de la même année avec les résistants Hamyan et les Ouled sidi Boutkhil dont les effectifs étaient près de 1.000 combattants.                  

                Notons que ce problème des frontières avec le royaume chérifien n’existait pas avant la conquête française de notre pays le 14 juin 1830. En effet, les gouvernements successifs de notre Etat en connaissaient le tracé précis et envoyaient leurs troupes chaque année lever l’impôt sur ces populations du Sud ouest. Pour rappel, le ksar de Chellala qui ne voulait pas s’en acquitter, a été contraint à payer par la force des armes au 18ème siècle.         

                Cheikh Bouamama allait lui aussi faire les frais de cette désagrégation sociologique de tribu. En effet, les habitants de Figuig contrecarraient son dessein de faire de cette localité une zone de repli. Il suivait lui aussi la stratégie de l’émir Abdelkader pour se replier en cas d’urgence vitale dans le royaume marocain. Cependant l’attaque du  cortège du gouverneur général Jonnart au col de Zenaga à Figuig le 2 juin 1903 allait changer la situation en sa défaveur. Le gouvernement français était amené à opérer directement  dans la région de Figuig, sur la demande expresse du caïd de cette remuante petite ville.  

                 En juin 1904, Bouamama quitta les régions du sud qui étaient désormais défendues par les troupes françaises de plus en plus nombreuses et mieux équipées en armes meurtrières et rapides. Il remonta au Nord en plein Maroc avec un millier d’hommes bien armés. Le général Lyautey envoya une troupe, sous le commandement de son chef d’état-major Henry à Ras Ain de Berguent pour protéger « les tribus amies ». Le représentant du sultan exprima sa reconnaissance aux troupes françaises venues les défendre contre Bouamama et contre le Rogui. Lyautey occupa ce point important avec l’adhésion du Makhzen et fit installer des baraquements. Cependant, le Makhzen protestait à Fez auprès du roi. Le Gouvernement de Paris demanda alors à Lyautey de rappeler ses hommes à Ain-Sefra. Le ministre de la Guerre André envoya un télégramme au gouverneur général pour évacuer Berguent, lequel fut transmis au général Lyautey. Mais le subdivisionnaire d’Ain-Sefra n’était pas prêt à obéir.  Il envoya un télégramme au ministre de la Guerre ainsi conçu :

            « Présence seule de groupe d’observation Ras Ain peut contenir tribus qui faisaient précédemment cause commune avec Bouamama…Abandon actuel ne peut être interprété par populations que comme fuite devant Bouamama et prétendant…Oran 31 juillet 1904 »[8]          

               Le prétendant au trône était désormais un allié de Bouamama. Il était hostile au sultan du Maroc et  avait une grande aversion pour les infidèles, les impies. C’était Bou Hmara, de son vrai nom Jilali Ben Driss Zerhouni el Youssefi né en 1860 au village des Ouled Youssef. Puissant, le Rogui son autre pseudonyme, s’était révolté contre les Alaouite et le sultan du Maroc, Moulay Abdelaziz en 1902. Il avait soulevé  les tribus en s’imposant comme le défenseur de l’islam et en dénonçant les pouvoirs dévolus à la France et à l’Angleterre. Dès 1902, il est proclamé sultan par les tribus révoltées. Selon Lyautey, les troupes de Bouamama et celles du Rogui étaient plus puissantes que c elles du Makhzen.  En juillet 1907, le général Lyautey, désormais divisionnaire d’Oran, reçut l’ordre d’occuper Oujda, exclusivement la ville. Comme à son habitude, il faisait tache d’huile. Le résistant algérien mourut en octobre 1908 sans avoir à aucun moment demander l’aman. Sur son lit de mort, Bouamama confirme son refus de demander l’aman :

             « Lyautey est un grand maitre …Je ne puis me soumettre à lui … »[9]

Quant au Rogui, il fut vaincu en 1909 par le sultan Moulay Abdelhafid grâce à l’artillerie lourde fournie par la France. Il fut  exécuté le 2 septembre de la même année. 

                 Le Maroc était alors en décomposition et vivait en pleine anarchie qui pouvait porter de graves préjudices à l’Algérie coloniale.  C’est ce qui explique l’occupation du Maroc ratifiée par le traité de Fez du 30 mars 1912 qui en fait un protectorat, soit un Etat protégé pour l’intégrer dans la modernité au plan économique administratif et militaire. Pourtant, le royaume chérifien avait les possibilités pour mener une résistance durable qualitative et quantitative. Le souci du roi était de préserver la monarchie, qualifiée de droit divin et de mater toutes les oppositions ou les révoltes. Cette même préoccupation était partagée par la France.          

             

          Ahmed Bencherif

          Ecrivain chercheur

        Auteur du procès des insurgés

        De Margueritte cour d’assises

            Montpellier 1902-1903

                                                                           Naama le 12/12/2021

[1] Djillali Sari ‘L’insurrection de 181-1882 ; SNED p.28

[2] Félix Jackpot l’expédition du général  Cavaignac dans la steppe et les ksour. 

[3] Charles-André Julien ‘Histoire de l’Algérie contemporaine Casbah éditions p.199

[4] Djillali Sari ‘L’insurrection de 181-1882 SNED p.33 

[5] op.cit Charles-André Julien

[6] André Maurois ‘Lyautey’ Librairie Plon p117.

[7] Félix Jacquot ‘L’expédition du général Cavaignac dans le Sahara   

[8] André Maurois ‘Lyautey’ p130 édition Plon 1931

[9] André Maurois Lyautey p 177

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